Μή μου ἅπτου

l’été commençait plutôt bien

je poursuivais, après un mois d’errances immobiles, ma fuite, dans le Sud cette fois-ci.

une semaine assez mondaine à écumer Venise par ponts et par eaux, à rechercher les merveilles qui feraient écrire ou au moins les réverbérations évidentes d’un but, des perles enfilées avec précaution, les fermoirs grands comme des maisons.

je passais mes fins de journée à l’hôtel à lire Pavese, à songer aux derniers jours de celui-ci, justement dans une chambre d’hôtel du Piémont, le ventilateur bloqué sur sa position, niveau 3, pendant des siestes infinies. je sortais de temps à autres manger du poulpe, vivre au-dessus de mes moyens.
deux loyers de retard à payer, un verre de Prosecco tiède – les meilleurs vacances, si ce n’est de ma vie, de ces trois dernières années.

je n’avais pas plus de prénom ici qu’ailleurs, je m’accrochais à celui des autres pour que les journées passent. je craignais déjà le retour et les visages connus (jusqu’ici rien de nouveau).

chaque nuit ici amenait son lot de jeunes gens, éveillés jusqu’à l’aube devant des jeux télévisés italiens. l’épaisseur des murs me laissait penser qu’ils devaient entendre, en réponse, le bruit agressif du ventilateur, témoin de mon séjour rangé et plutôt mutique.

comme la chambre devenait bientôt trop étroite, je prenais mes repères dans trois cafés environnants différents. l’un pour le matin (prix imbattable pour le café froid), celui au pied de la Basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari, avec son passage bruyant et vulgaire pour le midi et un pub étroit, où passe de la musique pop rock de mauvais goût, pour tenter d’échanger quelques mots avec les locaux et les serveurs encore étudiants.

il y avait encore la perspective du lido, île paradisiaque à trente minutes de vaporetto de San Toma – encore deux jours à passer quelque part.
cette perspective me réjouissait : je voulais voir la mer, j’avais soif d’expériences à romantiser. je peinais à écrire, les gens autour de moi étaient beaux et racontaient des histoires. il me fallait du calme, des choses à observer de très loin, de nouveaux fantasmes d’images et d’écritures. j’ai pris le vaporetto entre deux chiens malades. le premier avait le mal de mer et l’autre était incontinent – ma charmante escapade se transformait en aventure comique. le roulis des vagues, le bruit de dizaines d’emballages d’aluminium sandwich triangles en chorales, les vomissements du golden retriever couvraient déjà la miséreuse bande-son de mes deux jours à venir (j’avais choisi Sébastien Tellier comme musique de plage, un truc langoureux et intello la moindre). je fixais le port de l’île, les cheveux au vent, convaincue de trouver toutes les réponses à mes questions dans l’auberge Riviera Lido.

on peut très bien imaginer la suite : peu de réponses, une suite de solitudes esthétisées, des spaghettis aux fruits de mer. j’ai essayé en vain de recontacter des gens (des conversations laissées en suspens il y a plusieurs années maintenant, au mieux quelques mois) – pas de grand succès non plus. dans une petite épicerie de quartier, j’ai acheté quelques éponges de mer et du limoncello. j’ai échangé des banalités avec la vendeuse, peut-être assez pour qu’elle finisse par me tendre un sachet de tisane en partant (è un regalo!, c’est un cadeau). sur le sachet, une sorte de mandala immonde – tisane anti-stress, lavande.

même ici, dans l’épicerie accolée au Conad du fin fond du lido mon état ne laissait pas de doute. j’ai remercié poliment et je suis rentrée faire bouillir de l’eau et siroter ladite tisane dans le patio de l’auberge. une fauteuil style Emmanuelle me donnait au moins l’impression de vivre pleinement ma dernière après-midi sur l’île, avec tout autour le bruit des criquets et des Peugeot crevées.

une fois rentrée, j’ai pu débarrasser deux plantes mortes et continuer à vivre au-delà de mes moyens en payant mes factures. (il faut bien vivre)

la tisane de lavande provient d’une marque distribuée ici aussi. je l’ai très vite retrouvée dans mon supermarché. rachetée, bue debout dans ma cuisine, puis assise dans le salon, je contemple les pétales maintenant bruns de mes magnolias (ou de mes chrysanthèmes)
une fuite en avant, deux pas de côté.

je repense au palais des doges, au pont des soupirs, aux prisons étroites dans lesquelles étaient inscrites au marqueur bleu, forcément délavé, noli me tangere (ne me touche pas, ou ne me retiens pas). l’adresse d’un jésus ressuscité à marie-madeleine, le dimanche de pâques.

Laisser un commentaire