riders on the storm

c’était en 2014, j’étais sûre de ne pas me souvenir de cette année là, mais finalement tout s’est sûrement construit autour, je veux dire

j’avais 19 ans, toi 21, on écoutait du rock, tu retapais des bagnoles, je trouvais ça cool, t’étais plus libre que ce que je pensais, ça me faisait des choses à raconter à la pause, en librairie je pleurais parfois même devant les clients, tirée dans l’arrière-boutique je disais juste oh, peine de coeur on me l’a accordé trois fois, peut-être, la quatrième j’ai failli être virée. je n’aimais pas ta famille, à part ton père, ta mère vite fait, enfin ils étaient tous si dévoués, si intelligents, j’aimais bien venir dîner chez vous, je réfléchissais à vos débats le matin en partant au travail. un soir t’avais eu une indigestion et je t’avais demandé de quitter la chambre, j’avais peur de te voir malade. par contre je n’ai pas eu peur du reste, prendre la route, dormir dehors, j’ai fait quelques manières mais c’était pour voir, pour t’agacer. ça aussi on a su faire, on s’est foutu de sacrées gifles, on a même pensé que tenter de s’étrangler c’était cool, on se hurlait dessus dans des villas qu’on louait, dans la voiture en roulant trop vite, au bord de la route, dans la chambre chez tes parents, on était vus et entendus, une fois les flics dans ton quartier, c’était ridicule, des histoires d’enfants, j’avais envie de croire qu’on se sauvait de quelque chose, je nous ai tellement fantasmés que je n’arrive plus à dissocier mes souvenirs du papier glacé mental, je dois encore avoir des photos de nous, objectivement on était beaux, sauf nos rires, on riait très fort, comme des hystériques parfois, nous nous agacions, on a rompu quelques fois et à chaque fois je revenais, je t’écrivais à 6h du matin parce que je me levais aussi tôt pour partir en librairie, je te proposais de venir manger chez moi le soir, la journée je souriais aux clients, le soir je redevenais imbécile, j’attendais la prochaine escapade, je n’arrivais pas à croire qu’on se fuyait nous-mêmes

2021, je déteste le temps que je passe sur les réseaux sociaux – c’est intense et c’est nouveau. je tape mécaniquement ton nom quelque part, l’année précédente encore je n’avais accès à aucun contenu te concernant, cette année c’est différent, je vois ton visage qui s’affiche à deux reprises sur deux plateformes. je nous cherche, je cherche l’année de nos échanges, je prends bien une trentaine de minutes, je relis tout, tout 2014, je ris de bon coeur, on était objectivement drôle, aucun mot sur nos menaces et nos cris, que des photos de vacances et des chansons des Doors, jamais aimé ce groupe, j’ai fait quelques fois semblant pour toi ou pour passer le temps. par arborescence je retrouve la trace de ta famille, d’autres photos et d’autres messages, j’arrête vite, je jongle, autre plateforme, je découvre 2015, 2016, et ces derniers jours, je la découvre aussi, je la projetais déjà, elle est belle, je me demande si elle crie ou pleure tôt le matin aussi, vous devez vivre ensemble, c’était ton truc, le confort en dehors de la route. elle t’accompagne en voiture, vous faites des feux de camps, peut-être de l’escalade (des trucs qui m’emmerdait), en tout cas vous êtes là, vous étiez là en 2015, et en 2021 vous semblez vivre des choses, peut-être au Canada, nous en parlions aussi, parfois on parlait, désolée et félicitations pour le Canada, pour elle, ce soir j’aurais bien cuisiné avec un peu plus de visites chez moi, peut-être que j’aurais voulu comprendre, j’ai l’impression de ne jamais sortir de mon insouciance mais de ne jamais avoir connu d’amours adolescentes, mais tu étais là et j’étais spécialement vivante, je me rappelle des phares de la voiture de police mais, on se dispute, ils n’ont pas insisté. quelle horreur, ils auraient pu insister ! pas pour nous, mais quand même. qui dois-je remercier pour l’ouverture au monde ? toi, je crois bien, mais nous ne parlons plus, j’avais besoin de savoir que j’allais t’aimer toute ma vie, en 2014, quelle idiote, quelle enfance, je me souviens des vers luisants dans les cheveux en corse et les aller-retours au bord du lac de Lugano, les hôtels guindés et le funiculaire pour rien, pour retourner dans la voiture sous la pluie et manger des plats sous vides et appeler ça l’aventure, je ne répondais ni aux messages ni aux appels, c’était ça et seulement ça. pleins de vertiges, ces nuits à repenser ce qui nous entourait, avoir l’impression en se regardant dans le blanc des yeux d’être seuls au monde pour de vrai, d’avoir une communion sacrée et la compréhension parfaite de l’autre, se faire courser par des cochons sauvages et se séparer, une fois pour de vrai, puis taper ton nom mécaniquement, etc.

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