respirez dans votre front, enfin je veux dire – votre front est un lac, il se lisse à mesure que je vous parle, en se lissant votre regard se ramollit, et de ce fait vos yeux s’écartent – enfin, ils coulent… les couleurs que vous voyiez sous vos paupières s’effacent, vous avez du blanc ou du noir, mais votre esprit n’est pas derrière vos paupières, vous sentez l’absence de couleurs, votre esprit est dans votre gorge. elle se détend, vous l’imaginez s’élargir, comme un champ, un champ de peau, comme s’il passait sous un rouleau compr…, un rouleau à pâtisserie. quelle pâtisserie est votre pâtisserie totem ? à quoi rêvez-vous quand vous mangez ? et vos artères qui se bouchent, elles rêvent aussi ? ah ! non je disais, votre corps est cotonneux, il ne fourmille pas, il passe d’une contraction à un lac entier, un très grand lac. du front, aux orteils, un lac ovale sans embouchure, juste vous, vous êtes suffisants et le monde entier à la fois, interdépendance et… ah non c’est pas ça, vous êtes le lac et le chemin qui le contourne et le silence, mais aussi parfois le froissement d’ailes d’un papillon ou d’un oiseau, serein, mais actif… vous oubliez votre semaine, vous oubliez vos écrans. vous oubliez vos problèmes d’argent mais n’oubliez pas la cagnotte à l’entrée de la salle, ce sera pour la retraite silencieuse du mois prochain. tout ce qui compte c’est votre confiance, maintenant, en vous, et votre incarnation, vous restez le lac. je vais vous dire une chose, ce sera certainement la seule à retenir ce soir
(un temps)
vous n’avez jamais été autre chose que ce lac.
vous n’avez pas de famille, vous n’avez aucune autre responsabilité que d’être. les réactions, les agressions d’autrui sont leurs problèmes, des blessures, de l’ego, rien ne vous concerne. vous êtes dans le juste, parce que vous respirez et pouvez sentir le vent frais sur votre visage et votre voix, qui vous porte, qui est l’image même de votre âme (?) rend votre pas léger et joyeux et vous n’avez besoin de rien. vous n’avez pas d’amis. vous vous suffisez. qui vous fait rire, tout le temps, vous console, vous admire ? vous. avec les autres, ce n’est pas vous. c’est leurs prismes, une sorte d’assemblage niais et pathétique, un bricolage mental pour se rassurer, ce sont eux avec votre gueule par dessus, donc – j’en viens au dernier point. le deuxième plus important de ce soir : il n y a pas d’amour. vous n’avez jamais éprouvé cela. enfin, je veux dire : ailleurs. vous vous aimez parce que vous êtes là. et vous serez là la semaine prochaine, à crans montana, vous verrez ce sera super, mais c’est une retraite silencieuse. ne me le faites pas vous le répéter. on se retrouve SANS UN MOT, sur le parking, et jusqu’au jeudi, ce sera SANS UN MOT. on mangera dans le tintement de la vaisselle, le soir pas de babillages dans les dortoirs. d’ailleurs, tout ce qui se dit dans le collectif est inutile – j’en reviens à : vous n’avez pas d’amis. nous ne sommes pas vos amis. nous nous éveillons mutuellement, parce que nous nous voyons nous à la place de l’autre, miroir permanent, élévation sublime, je vous parle, vous êtes toujours lacs, mais je me parle avant tout. je suis ici pour me prouver ma place, et vous aussi, vous croyez en quelque chose qui vous dépasse. arrêtez un peu de penser à vous ! votre front continue de se lisser, il s’étale, ah oui – le corps était un champ. vous pensez entendre le souffle de votre voisin mais c’est le votre que vous entendez. quand j’activerai le bol, vous pourrez tranquillement vous remettre en mouvement… tout d’abord les pieds. et caetera, et caetera, jusqu’au visage. la mâchoire pour la fin – attention ! c’est ce qu’on est tenté d’enclencher le plus vite, cette zone est toujours trop active… vous n’imaginez pas toutes les tensions que l’on porte dans sa bouche… (le bâton frappe la première fois l’extérieur du bol) du lac vous devenez gouille… (une deuxième) qui s’assèche, jusqu’à faire la taille d’un talon de chaussure… (à l’intérieur, maintenant) vous devenez un tronc, non, enfin vous pouvez bouger les orteils.
(un temps)
(moi, pendant les premiers cours, je zieutais justement mon voisin, un demi-sosie de Jeremy Irons, je ne pouvais pas m’en empêcher, j’ai du me faire à l’idée que lui portait des sarouels, et que moi il fallait que je sorte de mes tropes)
alors,
merci beaucoup pour cette soirée. n’oubliez pas, vous êtes en vous même un tout, et votre corps est un écrin, prenez soin de vous, répétez-vous que vous êtes seuls, tout le temps, vous souffrirez moins. et n’oubliez pas la petite boîte à l’entrée de la salle, et on se retrouve SANS UN MOT la prochaine fois.