les chats de Balthus, ont à égalité la jovialité et la lassitude sur la gueule. tout autant enclins à tirer les napperons, déchiqueter les mollets, qu’à se laisser mourir sous les pommiers, ou materner tout tranquillement du fond des grandes armoires.

tout a commencé par un poème dans sa boîte aux lettres.

Untitled-13
Balthus, nu avec un chat (ou une bassine), 1948

 

c’était un jour où elle n’attendait rien – qu’importe, elle fouille quand même dans la publicité pour en tirer des couleurs nouvelles, brusques, flash, on cherche des stimulants où on peut. elle trouve la lettre, elle part vider le compost, elle serre la lettre contre elle, elle glisse contre son ventre, elle renverse les pelures de fruits moisies sur ses pieds, elle s’apprête à crier (elle imagine facilement des serpents s’emparer de ses chevilles, souvent) elle renverse tout, la lettre baigne dans la purée de pomme. elle regarde à gauche, à droite, nettoie le tout, retourne chez elle chercher un foulard. elle le noue tout autour de la deuxième partie de son visage, elle fonce vers la gare.

il y a deux semaines, son ami lui racontait qu’il avait ramené beaucoup de filles, sur ce quai, sur ce banc-même, ils fixaient les pâquerettes, ne s’embrassaient jamais. ils les déplumaient mentalement – un peu, beaucoup, non tu rêves, rien du tout. ils ne s’embrassaient pas et ne se parlaient plus, comme si le banc était l’officialisation par la pause, la voix assise, les visages qui vont (bien sûr) ne pas fixer les voies, surtout aux premières paroles, surtout aux dernières, il faut regarder l’autre quand on rejoint le banc. pas de conclusion. il a ramené quelques filles ici en pensant pouvoir les rendre amoureuses.

c’est ici qu’elle choisit de s’asseoir. elle avait pensé à ce banc une fois l’écriture reconnue. elle déchiquète l’enveloppe, un train passe (totalement vide). elle espérait de tout coeur une lettre manuscrite (lettres d’enfants, premiers traits appliqués puis le reste à la hâte, sauvage). c’est un poème imprimé, un original qui lui est adressé. la typographie a été choisie, la mise en page est propre, ceux qui écrivent ne blaguent pas.

cet après-midi, l’Aar est malade. personne ne se risque à sortir.
elle relit la lettre dans une cage d’escalier

dans la totalité d’une rue, les portes ne demandent pas de code, certaines sont même entrouvertes (comme à Florence, dans le quartier des artisans, les portes sont minces et gondolées, elles sont ouvertes sur des tapis et des odeurs, directement)
deux enfants montent l’escalier à pieds-joints, le plus petit manque de lui tomber dessus.

cinq jours plus tard, elle ne sortira pas de chez elle.
à part pour vérifier le courrier. elle ouvre toujours le gros casier avant celui réservé aux lettres, la boîte à lait. elle déteste que cela porte ce nom, elle n’a longtemps pas su digérer les produits laitiers et qu’un objet en porte l’image n’annonce en aucun cas de bonnes nouvelles. il y a un pantalon en lin roulé en boule sur la pile de revues immobilières.

–  j’adorerais porter du lin ! mais mon pantalon est troué vers l’entre-jambe.
– je peux te le rafistoler, si tu veux, je couds un peu ces jours.

donc, dans la boîte aux lettres il y a un papier gribouillé (l’enveloppe de la gérance, quel culot) et qui dit : salut, y a mon fute dans ta boite à lait.
secousses de rires, sourire hystérique, elle le déroule une fois chez elle. deux trous plutôt réguliers. une forte odeur de ? d’un parfum, peu importe. mais vraiment, une odeur violente.

–  je ne peux pas boire ton café, j’ai un chewing-gum dans la bouche.
– file-le moi !

il tend la main, elle crache dedans en rougissant. ils ne se reverront plus jamais.

elle plante l’aiguille dans le lin (elle prend la plus grosse, son hypermétropie l’empêche de viser juste dans les toutes petites, et aujourd’hui elle n’a pas de patience), forcément que les centimètres intacts s’éventrent eux aussi. vingt minutes plus tard, elle l’essaie dans sa cuisine. elle remonte l’odeur jusqu’aux hanches, ferme le gros bouton et laisse les trois autres ouverts.

il y a plusieurs années maintenant, une rupture en plein milieu de l’après-midi, dans une sorte de grand pré, pas loin de la ville. un âne brait, une poule glousse. elle le quitte en riant un peu, mais une larme coule. il rigole plus fort : arrête, salope, je bande !

il était merveilleux, ressemblait à un enfant, et quand il se couchait au sol ses cheveux formaient de bien purs soleils.

elle a toujours été fascinée par cette configuration : deux êtres humains qui se connaissent de ce qu’ils veulent bien se parler, étendus dans l’herbe, à respirer en chorale, à trouver la température agréable. ce moment où l’on se dit que l’on aime, irrémédiablement, on ne sait pas au juste ce qu’on aime, mais il y a une forme d’attachement dans tout ce qui est présent : le corps, la posture, l’inclinaison, les clignements d’yeux, l’accent ou la lenteur sur certains mots. et surtout: que l’autre parle, ou s’agite, cela est égal. partie intégrale du tableau, cadre, accroche, gouache, intention, théorie. quelque chose flotte alors que l’on ne s’y attendait pas et rien ne nous froisse, tout est accueilli. certainement la combinaison la plus juste et la plus chaste, la moins courte. dans un logiciel informatique, si tout ce qui a été écrit au-dessus devait être retranscrit, ce serait la même ligne, qui déborde de l’écran, pas de courbe, pas de progression, un trait ardent qui ne frise pas. on peut, autour y ajouter des sons, des effets, des fondus et des disparitions, là il s’agirait de blocs inégaux et parfois englobants. si, par exemple il faut ajouter une bande son à l’instant d’avant (herbe, corps, respirations), que l’on choisit des orgues ou des cymbales, une clarinette, ce serait une sorte d’écueil coloré qui se placerait en bas du trait, comme un socle à l’Ascension. bref.

les pantalons des hommes n’ont pas les mêmes poches, sur le derrière. et sur le devant, elles sont vraies – idée bien vicieuse de coudre les poches sur les pantalons des femmes ! des fonds perdus, pas de volume sur les cuisses. le sien a des poches passepoilées, un pantalon qui raconte les mouvements, des luxations du genou, les écorchures, l’aventure.

cette même hypermétropie rejoint l’astigmatisme. le cocktail empêche de discerner avec précision ce que lit le voisin d’en face, derrière la baie vitrée. il semble trier des classeurs, se force à un entrain, lève un doigt, plonge à travers la table et les feuilles et les notes. il y a, par contre, un chat qui se frotte contre la vitre.

 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire