confiture de papillons

– Je vais l’appeler Booba.
– Comme le rappeur ?
– Ouais.

L’ancienne maison des Pouilles tourne le dos à un petit garage au toit plat. Il reste accessible grâce à deux conteneurs et un fauteuil éventré. Il doit être huit heures, il fait déjà 35 degrés, les deux soeurs sont allongées, la tête à l’ombre. La plus grande caresse le chat avec insistance, écrase son dos, l’ébouriffe, le force à la regarder. La petite s’en fout. Elle angoisse déjà de la journée à venir, où il faudra aller à la plage pour faire quelque chose et surtout pour se rafraichir.

Heures folles où le silence donne l’impression d’être autonomes, à minauder vers les bêtes et se frotter les yeux de sommeil et d’ennui, entendre les premières cargaisons au seuil des épiceries (trois dans la même rue, à moins de vingt mètres, c’est Cursi), les dévaloirs, les gros fruits balancés dans les cageots, la caissière qui parle comme au fils, qui embrasse la joue en ordonnant la prudence. Dans l’ancienne maison, les parents sont alertes. Ils connaissent la cachette, peuvent parfois capter les rires d’en bas, mais remuent leurs peurs, encore, en choeur.

Ce que l’une préfère, c’est l’aventure. Les matelas gonflables percés, se fait gicler de l’eau de mer dans la figure une fois le corps sec, c’est le bruit et les fêtes absurdes chaque soir. Fêter le pain, fêter la gémellité. Danser la tarentelle, la pizzica, les cousins qui dorment à la maison après avoir bu trois bouteilles de limoncello chaud sous le patio. La turbulence.

Pour l’autre, c’est filer sous la douche au retour de la mer. Canaliser l’eau dans une cabine cette fois-ci, et permettre à un trou de la faire disparaître une fois lassée. Le sable cède ou se colle à nouveau, la peau se malmène, mais le remue-ménage de la plage, ses rituels, c’est derrière. Elle enfile des vêtements en lin, lit des bd en italien, fait semblant de comprendre. Il y a Picsou, un Club des Cinq improvisé, parfois des cases érotiques à la fin des hebdomadaires. Là, elle fait mine de ne pas lire.

C’est d’ailleurs en Italie, vers l’âge de dix ans qu’elle se confrontera aux premiers films pornographiques quand, ne trouvant pas le sommeil, elle zappait naïvement pour tomber sur quelques voix rassurantes. Il y avait des voix rassurantes.

Mais c’est aussi dans ces configurations-ci qu’elle s’est redécouverte une passion pour les papillons. Un jour d’insolation, elle a pu rester toute seule dans la maison. La moindre bricole devenait une attraction. Le tiroir des couteaux, celui à huître en particulier lui faisait un drôle d’impression, les tabliers de cuisine, les médicaments pour l’hypertension, tout était aventure puis emmerdement, elle virevoltait d’une chose à l’autre, revenait à i fumetti, puis la télévision. Le grand-père avait fait en sorte de capter des chaînes francophones pour les deux soeurs et le père. Il y avait cet après-midi là un documentaire sur Nabokov, avec de superbes images d’archives. Elle a juste retenu qu’il chassait les papillons. Le goût obsessionnel de la collection, la fascination pour les ailes comme des vitraux, la grande tante lui disait : si tu touches leurs ailes ils meurent. Cette même tante lui avait offert un papillon séché dans un bocal de confiture. Vladimir parle du premier papillon qui a véritablement croisé sa route – il avait 7 ans. Il s’est entre temps spécialisé dans les papillons de jour, dévore les encyclopédies, croit découvrir de nouvelles espèces.

Elle connaît surtout le Vulcain, elle l’a présenté lors d’un exposé à l’école. Elle avait parlé en rougissant de leurs accouplements. Pire que ce qui s’était vu sur la chaîne italienne, le soir avant l’insolation.

Parfois le vol des papillons lui fait des trucs dans le bas-ventre. Parfois elle s’agace de leurs rondes. Si tu touches leurs ailes, ils meurent. Elle n’aurait qu’à les ramasser, émietter leurs ailes. En faire de la confiture.

Il est maintenant dix heures, il fait un degré et demi de plus. Le chat a fini par griffer les poignets de la grande, qui râle. Peu de chance d’accumuler les insolations. Elle pense à lui, il a les mêmes couleurs que les papillons dans les filets de Vladimir.

 

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