j’attends qu’il pleuve dans mon thé pour pouvoir le boire

à y réfléchir, Florence est forcément la ville dans laquelle on se rend pour s’échapper.
ce n’est pas une métaphore club-med, ce n’est pas une affiche publicitaire, c’est bel et bien de la dissociation, c’est pathos sous le soleil, c’est effectivement le cocktail, c’est effectivement le plus de cocktails possible, c’est le commentaire-muséal de la galerie des offices au troquet, c’est le coin de rue qui crache des icônes d’ivoire à la gueule des perdus, c’est une ville où aucune projection n’est possible car les images sont imposées, image-limoncello, image-digestif, image au coucher, image nue dans son lit à côté de soi, image au matin, image dans un bol, images lascives agressives latentes, images même dans ce champ d’oliviers, premier jour de printemps, où rien ne laissait présager d’officialités, aucune couleur-institutionnelle, aucune pancarte, mais tout d’un coup des vitraux, dans le ciel, une église qui sort de terre, des bariolées dans l’air sec, une Madone à l’enfant de plus qui donne la nausée.

donc, pas de places pour les projections. pas de places pour les ressouvenances de peaux, d’amours, pas de place pour l’ancienne odeur des caresses, pas de place pour le doute de soi, pas de place pour le corps en dehors de sa première fonction ici : marcher. c’était beaucoup d’insomnies, une hyperesthésie, beaucoup de violences. pas de mots doux. à l’époque, il a écrit ; je pensais que tu m’écrirais. à cette seule pensée, je ne lui ai plus jamais écrit. au retour, nous étions disparus. plus de mots, plus de tout ce qui avait été là durant trois mois, un grand vide. l’estomac creux de la marche du jour même, le jour du message, la marche dans un soleil absurde, la marche jusqu’à la statue d’un saint anecdotique, le zigzag dans les forêts cramées, le socle puis les pieds puis les genoux, etc, du saint victorieux, auréolé de chaleur et de bruits de touristes, crépitements de flash photographique, exclamations… Images.

aucune dureté envers soi dans une ville qu’on expérimente à pleines mains. aucun reflet, justement, aucun miroir assez global pour se renvoyer l’affliction, le désespoir, le dégoût, la satisfaction même, d’une silhouette. La marche, les mains pleines, les yeux grands ouverts, tantôt secs tantôt larmoyants par manque de sommeil, les dents qui mordillent parfois l’intérieur des joues pour se signaler l’impatience, entre chaque lieu, avant d’apparaître devant une nouvelle mascotte de pierre, un tableau de maître, une sculpture de cardinal à l’énorme robe, un profil au fusain. pas de place pour les gémissements – de quelque nature qu’ils soient, on rabote les angles, on supprime les attaches, on est loin de soi et des autres et des responsabilités.

Florence est la destination idéale pour s’oublier. ce ne sera jamais une métaphore club-med. à l’école de la terre et de la fertilité, les branches sèches qui donnent des fruits presque gras. totalement hébété et humble, tournoyant dans le Giardino Bardini des cheveux et des étoles, caressant les chats errants, on s’arrête pour boire à la fontaine ou reprendre un bicchiere di vino, s’engoncer dans la mollesse, le non-devoir, s’immiscer dans le cadran pour s’empaler aux aiguilles.

on pourrait, justement se masturber, mais on vient de se vernir les ongles. c’est le soir, sur une terrasse qui donne forcément sur l’Arno, le frais amène la rumeur. on a tout d’un coup l’idée de monter sur la rambarde du balconnet, sauter dans l’eau, en fait on pense à s’annuler, un instant. pas dans tout ce qu’impliquerait un suicide ou un véritable malheur, mais une légère anxiété semble porter les chevilles et tirer l’oeil vers le vide. c’est une curiosité nouvelle. on repense à l’auteure qui a emplit ses poches de pierres pour se noyer dans un fleuve. on porte ses mains à ses cuisses : le pantalon a ses poches cousues au tissu. il faudrait découdre, recoudre un fond, pour pouvoir envisager d’y glisser quelque chose. on sourit intérieurement. l’Arno est effroyablement noire. des lampadaires percent, lézardent arbres et quais. quelque chose de l’épilepsie ou de la distorsion (insolation ? indigestion ?) éloigne de la rambarde. on regagne sa table, on s’ouvre aux signaux du rien et le lendemain on reprend sa marche – ralentie par un caillou dans le soulier.

 

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