je suis nue et je mange du guacamole chez moi. je suis précisément couchée dans un coin d’ombre, à fixer les ouvriers qui s’affairent dans le petit parc d’en face. leurs regards m’est égal. mes voisins doivent se lasser de mes aller-retours nue vers la bouilloire pour reprendre du thé. je ne m’exhibe pas – c’est juste que je dissocie.
actuellement je ne suis pas tout à fait ma peau et très peu d’organes. je n’ai pas l’énergie de tous les lister pour les choisir, je sais juste juste qu’il y en a beaucoup, qu’ils ont tous l’air d’être utiles. en attendant, je fais passer le temps. je regarde un ouvrier, le plus jeune. il ne sait pas tout à fait se servir de la tractopelle. il aide sûrement son père. plus tard, ils étendront une couverture vers le grand bassin vide pour boire du café à même le Thermos. le plus jeune se brûle la langue – l’idée m’excite. puis non. j’oublie. je pense à l’écriture, à ce qu’il y a de plus sérieux que la masturbation là tout de suite. les plantes meurent dans mon salon (je vous ai nourries ! je ne comprends pas ? c’est l’été. mais d’autres réussissent. d’autres ont leur intérieur rempli de plantes. moi elles crèvent. alors j’achète des vases vides). la première fois il s’appelait Victor. il s’appelle sûrement encore, je n’ai pas appris sa mort. je voulais que ça passe le plus vite possible, la lubrification, le passage à l’âge adulte, l’emplissement par l’autre. il ne s’est pas vraiment soucié de ma douleur et moi non plus d’ailleurs, j’étais trop heureuse, je souriais, je voyais le sexe disparaître en moi et je voyais pleins de nouveaux adjectifs me coller à la peau. je suis sortie de chez lui un peu troublée, pleine et vive. nauséeuse. fière. après, on ne va pas tout raconter. se rappelle-t-il aussi de cette fois-ci? il m’avait présenté sa mère et le soir même il me pénétrait. bon. il m’avait longuement parlé de sa nouvelle carafe filtrante, pour l’eau. un objet exceptionnel. très design, l’eau gouttait, tellement pure, et un amas de choses microscopiques était retenu dans un réservoir. dès le matin, je savais que nous allions baiser. le matin, je me suis préparée en conséquence. j’ai marché en conséquence, parlé en conséquence. sa mère devait l’imaginer. elle me regardait très étrangement à table. j’ai peu mangé, en conséquence. après il y a eu beaucoup de paroles, un flot impossible, pour éloigner un peu le moment où, l’angoisse des enfants, la nudité affolante, trop rapide, mais qui tarde aussi, un moment interdit, le secret de quelque chose que personne d’autre ne verra, le scintillement de la pubescence, des angles droits, des petits mots pour masquer les bruits gênants de succion, de tapements, frottements, la transpiration, les genoux rougis, les corps labyrinthiques, les équilibrismes, se retourner, mettre les mains là (c’est bien là?) mais ils font comment les autres avec leurs plantes ? les miennes crèvent. les ouvriers ont vu mes seins. forcément, l’angle ne permet que ça. même mon visage est dissimulé. debout, pour le thé, ils voient mes hanches, etc.
un jour je me suis dit que l’intellect passait avant la baise. un jour j’ai pensé à l’écriture plus qu’aux corps, c’est idiot, surtout qu’il y a des jours sans mots. et après il y a eu l’absence de faim, l’incapacité du langage, les barrières, l’autre pays pour trois mois et le retour catastrophe, tout à réapprendre. et voilà, maintenant je suis allongée à manger du guacamole parmi des plantes mortes, à m’exciter sans m’exciter devant l’image de la langue brûlée d’un ouvrier, je suis nue mais je ne le sais pas, parce que je pense à ce que je devrais lire au lieu de passer des journées nues et des soirées à boire, pour dormir le plus longtemps possible le lendemain, pour être moins nue, donc peut-être écrire, mais ne pas le faire, et sortir, etc.
je me lève pour reprendre du thé. je me demande si les adjectifs d’aujourd’hui sont ceux de l’après avec Victor. je me demande s’il va bien, et j’oublie vite (pas grand chose à foutre). un ouvrier est allongé dans l’herbe et sur la couverture. il étend ses bras et ses jambes, les bouge dans un battement étrange. souvenir de ces formes d’anges dans la neige, où il fallait faire les plus belles ailes possibles. je ne suis plus excitée. le thé laisse des écumes vertes sur la porcelaine, le yucca se jaunit. les premières feuilles à mourir sont déjà de la poudre autour du pot. les vases vides prennent l’écho du dehors et me rappellent l’heure et le manque de sommeil. puis plus tard ;
l’eau bout la main descend le soleil se couche, il faudra sortir, la tractopelle ne gronde plus, l’heure est légitime à l’exhibition, je m’habille, j’affronte le monde à moitié, je pense à l’écriture quand on me parle et au sexe dans les corps qui dansent sans connexion.