ils vont à la mer. ça n’a jamais été ton truc. le bruit les températures qu’on ne contrôle pas les méduses les algues ou les plastiques qui se confondent les glaces. hypersaturation du bleu des dialogues des corps. abondance, écoulements, vomissures d’été. tu l’aimes choisi, tu l’aimes utile et inégal dans la journée. c’est l’Italie, c’est le sud précisément, c’est un été comme un autre depuis huit ans, c’est l’odeur du caoutchouc des matelas flottants et autres jeux d’eau vulgaires. parfois tu t’inventes des maladies pour ne pas les suivre à la mer. insolation indigestion fièvre migraine eczéma, choses minuscules qui font l’affaire. ils haussent les épaules, déjà à demi dans la voiture et dans les vagues, tu entends presque la clef dans le contact, la barrière qui se referme. une maison presque inconnue pour soi, le choix, le luxe en tant qu’enfant de pouvoir fouiller partout, désosser, frotter le bois, se cacher, manger, parler à haute voix. tu te diriges vers la petite table ronde en bois dans le coin. il y a un napperon blanc avec des fruits délavés brodés dessus. tu te mets en face de la cerise. tu sors toutes les feuilles possibles et inimaginables des tiroirs, tu rapatries les stylos secs de chaque été, tu sais tout ce que tu fais. tu agrafes, mesures, alignes les pages, fais des petits tas, tu créés un livre sur un seul plan, sans réel pliage. un tas agrafé (à 9 ans, aucune connaissance des fanzine). tu rédiges à la suite un magazine, une bande-dessinée. tu poursuis dans les dessins de mode, des silhouettes anecdotiques avec de longs tissus échancrés un peu partout. tu n’as pas encore de regard clinique sur le faire. dans le petit salon il fait frais et tu as la journée devant toi. tu n’as pas besoin de savoir t’exprimer, pas de logique à trouver dans le frais les napperons les feuilles l’Italie. ne pas se faire comprendre une journée. tu écris une histoire qui parle de lapin et de papillons. il y a une idée de pouvoirs magiques. tu élimines peu à peu les êtres humains de tes histoires. tu laisses la part belle aux structures, au décor, aux animaux, aux plantes, à une sauvagerie de fureur et de silence. tu entends le clapotis moite des chaussures de plage, tu planques tout dans les meubles. tu allumes la télévision. ça les rassure, la télévision. moins de choses à justifier. tu répèteras ces fuites toute une semaine, à accumuler les livres et les magazines, à ne penser qu’à ça, à ce silence sur une journée où il n y a aucun besoin d’expliquer, où toutes les formes sont possibles et où l’action est assoiffée, où elle se nourrit, se mord la queue, renaît, ne meurt pas, où tout se fait comme si la seule finalité était de faire et de recommencer, comme si cette boucle était linéaire et étalée sur toute la surface du sud de l’Italie. tu rêvasses aux cerises du napperon, aux champs secs qui ne donnent que des oliviers, aux chats et chiens errants qui ne doivent pas éviter la plage. toute la maison se remplit de corps assouplis par l’effort, les brasses, ils sont encore entre deux eaux, ils parlent fort et tu apprends que ta soeur (qui ne l’est pas vraiment) s’est faite piquer par une méduse. tu vas dehors au grand jour dans la cour pour voir la plaie. tu fronces les sourcils, le soleil est absurde. tu ne sais plus mettre des mots, tu ne sais plus parler (pas eu le temps, aujourd’hui). les mots se bousculent tous dans ta bouche tu dis bravo au lieu de dire, je ne sais pas, dommage. bravo à la méduse. on ne te demande pas vraiment ce que tu as fait dans le noir du salon. ce qui compte c’est ce qui se fait en dehors de la maison.
tu admires ceux qui peuvent s’imaginer un espace idéal totalement fantasmé. ceux qui parlent d’arbres puissants et productifs, d’animaux-dieux protecteurs, de tapis de soie dans les prairies, de feux évanescents, ravins de fleurs, cratères visqueux et tièdes de magma imaginaire. tu vois toujours les mêmes stylos à la mine éclatée, le brun qui fait du noir et le bleu jauni par les coloriages de plein air. tu vois les feuilles qui s’assemblent sans compter, sans penser gaspillage écologie économie. tu vois juste l’évidence, et tu oublies de parler pendant des heures, tout se fait sans se déplumer, et c’est ici la meilleure pyrotechnie. le pouls invraisemblable qui traversera l’enfance, l’âge adulte. et pourtant aujourd’hui toujours les mêmes mains les mêmes solitudes et les mêmes maladies imaginaires à l’approche de la Mer, les bouées, l’hypertout.
Super texte
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