C’est toute une géographie à réinventer.
Le corps lourd mais souple cahoté quelque part dans la salle de bain.
L’avait-elle dit à voix hautte ou rêvé ? Sonnée, à moitié nue elle voit chaque mot se détacher sur les meubles jaunes de la pièce d’eau. Elle la voit se distordre, beugler des rires moqueurs, se dissoudre sous ses paupières enflées, encore avides de nuit et de noir. Elle retrouve son lit en quelques mètres qui paraissent heures, elle ne voit plus en volume mais en sons et sifflotements d’objets, qui guident ou éloignent selon leur humeur et leurs interactions.
C’est tout une géographie à réinventer.
L’art du rêve vaporeux ou la réalité crue d’un éveil tiède, pour aller boire un peu ou uriner. Elle n’était pas sûre d’aimer ça, le déplacement rapide et saoul lit-cabinet, elle sentait l’agacement gronder en elle, celui d’avoir été dérangée dans quelque chose de profond, sans mot, tout en images et en refoulements. Rares moments où elle pouvait laisser tomber les lettres pour faire le point. Réveillée maintenant, adossée au mur face à l’étagère qui déborde, celle qui parfois la sort aussi de ses rêveries pour lui rappeler que ses tiroirs ne sont pas bien fermés, qui génère le pas, le soupir, le geste, une demi satisfaction comme une demi érection inintéressante, réveillée maintenant elle découpe le message et tente d’en extraire les tendons, de lui ronger les os, pour pouvoir se détendre à nouveau et voir tout en flou. Il est vrai que l’espace – la nuit – dans cet état/urgence et cette mollesse du sommeil avorté, joue à cache-cache. Il est vrai que la porte, autrefois presque grandiose de bois, paraît lointaine et microscopique. Il est vrai que la double fenêtre, parfois ouverte et généreuse, pleine de vies et de trains qui passent, semble repliée sur elle-même, fœtale, sans rail ni circulation. Il est toujours vrai que quand elle étend son bras, ou sa jambe, elle a l’impression de voir son membre s’étirer et habiter chaque recoin de la chambre. Il est vrai que l’orteil est invisible. Ces couleurs sont-elles réelles ? Existent-elles ailleurs que dans la nuit ? Elle se demande si, c’est toute une géographie à réinventer, si elle l’avait dit à haute voix. Somnambule pisseuse ou ironique éveillée, peut-être encore une mise en abîme ridicule: le rêve d’un sommeil et d’une phrase vaseuse, ou encore pire, le rêve d’un rêve d’une…
C’est toute une géographie à réinventer.
Elle aimerait étendre ses doutes à la rue. Elle aimerait sortir et sentir le froid définir les lieux, les immeubles. Dehors, c’est défini. Dehors il y a les lampadaires qui donnent des réponses comme de vieux professeurs empathiques, dehors il y a le risque de l’échec scolaire et ce vieil homme qui te voit comme son gosse et qui aimerait noter convenablement ton devoir de science. Le dehors lui semblait moins hostile que le dedans tourmenté et symbolique à la fois, ou chaque tissus devenait interprétation d’un événement passé ou bon présage, mauvaise augure, personne à chérir ou abattre, familier selon l’inclinaison ou ami selon la matière.
Ou alors, il est question d’insomnie. Il faudrait penser aux médicaments. Il faudrait consulter ? Son ventre se tord, maintenant elle a faim, et les autres pièces ne sont pas encore établies, parcelles vierges de jeux, elle ne peut pas s’y aventurer sous peine de disparaître de sa matrice. Plus tard le réveil retentira. Aujourd’hui elle part pour Londres, oh pas grand chose, une petite semaine. Mais bientôt la chambrette sera baignée de bleu roi, remplie de bruits de valise, pleine de recommandations officielles et chuchotées, pleine de responsabilités et d’angoisses.
C’est toute une géographie à réinventer.
Peur de monter dans l’avion, toujours, quel manque d’originalité. Cette peur injustifiée, aussi, de s’évanouir de fatigue. Elle avait du voir ça, petite, dans des films avec des coyotes ou des animaux en costard. Ou dans ces films d’enfants aux faux airs adultes, avec des mioches qui se prennent pour des salariés etc. 5h45, elle est presque sûre maintenant d’avoir été consciente, mais de ne pas avoir parlé tout fort. Le son de sa propre voix lui fait souvent une drôle d’impression – elle s’en serait souvenue. Elle aimerait parler, maintenant, pour se rassurer et entendre ce qui est vraiment dit. Ce matin elle a écrit la phrase sur un petit bout de papier. Elle n’a pas dormi, c’est certain. Alors quand, comment? Gatwick Airport contient des échoppes bien délimitées, remplies de choses identifiables, ainsi que leurs tailles et leurs contenus. Par terre, le sol apparaît millimétré, comme cynique et enjôleur.
It’s a whole geography to reinvent