Tu te caresses avec comme fond sonore celui de la machine à laver. Te voilà toute distraite par des bruits du dehors, le reflet de mouvements jaunes contre le mur blanc. Tu déplaces tes mains sur tes genoux, tout doucement, pour créer une chronologie tactile, puis te lèves d’un coup, pour voir de quel ensoleillement il en est. Tu mords dans le premier fruit mûr à ta portée. Tu as oublié de regarder le ciel – par contre, tu repenses aux inflexions si particulières que ce garçon avait dans la voix. Celles qui te feraient oublier que le sexe avait été une notion vague, qu’il n y aurait plus de vacances à la mer durant quelques juillet, août.
Tu te mets à compter sur tes orteils, puis tes doigts, les jours de paix qui venaient de s’écouler. Il avait été question de pluie, mais elle s’était présentée comme une douce menace. Un couinement adorable de bottes de caoutchouc trop petites, qu’une fois à moitié déchaussées on envoie valser d’un coup de pied en direction du canapé. Tu te demandes si tu as tourné ton canapé dans le bon sens. Ces jours de paix ont enterré ces jours de plaies, où les sourires devenaient babils sauvages, ou les foules semblaient t’avaler, même de dos.
Il y avait d’abord eu ce papillon de nuit mort dans ta boîte à lettres. Tu as voulu le garder le plus longtemps possible, repensant aux élevages d’escargots de ton enfance. Tu étais très rigoureuse, à percer les cartons de chaussures, à bien leur assigner leur espace. Avec le temps, il a disparu. Tu ne sais plus s’il s’est émietté parmi le courrier, ou si dans une hâte maladroite tu l’as fait se décoller du métal au carrelage, dans un envol ridicule (que personne n’aura remarqué). Puis plus tard, cette mouche muette dans ta salle de bain. Tu te disais : je n’habite pas vraiment ici tant que je n’aurais pas vu de mouches. Ou de moustiques. C’est un signe d’établissement, ça. Tu t’es reniée dans tes lieux jusqu’à y voir une mouche, vraisemblablement perdue, entre l’évier et le crochet du linge de bain. Peut-être que le déclic, c’était la mouche. D’ailleurs, tu as de plus en plus ouvert les fenêtres pour les voir toutes, les observer entre deux vaisselles et un duvet. Quand tu t’es bien emmurée dans ta joie, quand tu t’es mise à la sentir avec nonchalance, tu as oublié ces instants d’engluement, où tout se concentrait en plein dans un visage terrible. Et quand les ombres sont jaunes et qu’il y a les exclamations de ce garçon en fond (avec en fond du fond, la machine) c’est comme s’il n’ y avait eu de stores, papillons vivants (beaucoup trop haut, pendant que tu les cherchais la tête dans le sol), et insecticides dans chaque armoire, à côté de fraises ayant oublié de mûrir.
Tu souris à ton corps, tu glapis de vols de bestioles phosphorescentes, tu repenses aux autres doigts, à ceux dans la bouche, qui au lieu de taire tirent sur les coins des lèvres des sourires de soupirs dans la nuit. Quand tu as fini par te remémorer le pourquoi du comment, le mouvement, l’arrêt de la, la pensée de, le monde était à demi noir. Et toujours le bruit de la machine à laver.