Je hais ces hypocrisies physiques où un corps réclame l’autre dès l’aube, à jeun. Adolescente, cela m’était égal. Être remplie, secouée, embrassée, mordue, encore ensommeillée, pleine de vertiges,
Le garçon avait pourtant tout pour bien faire, maladroit, absent, trop intellectuel. J’aurais pu jouir. Mais il y a toujours cet engourdissement. Pense à Florence. Les paniers tressés des marchés, les accordéonistes sans école. Je rêve de glisser mon menton, mes lèvres, dans un bol de café, un bol français, un café dans les Abruzzes, pas sous les draps, où les membres sont encore moites d’hier, où nous nous endormirons comme si de rien, entre un râle et deux tremblements, la voix entre trois nuances, plus aigüe de désir ni grave de tendresse, une tiédeur d’avant réveil
Adolescente, je crois même que j’aimais ça. Le visage d’ouate dans le miroir ami, la peau lessivée et les quelques mots de l’autre, qui continuent de rouler sur les meubles, entre les cuisses, entre deux pièces. Du jazz dans le bassin, baiser de tout son soûl, parce que sous la cadence il y a la peur, celle de la solitude d’après, celle de la mort, celle d’être abandonné contre ce corps, individu – inconnu – soudain amoureux, recherche d’action gratifiante (deux structures organiques bernées), dans le grand monde, on oublie peu à peu les omoplates dans la foule, les ardeurs sous les tissus, on redevient angoisse, on se retrouve seul dans une pièce avec ni l’envie de peindre ni celle de lire, encore moins d’être visible sur un quai, dans un parc, on écrit à l’autre, on propose un café, puisqu’il n y a pas de destination on le propose ici, à même le sol, sans tasse, sans café, juste l’autre, juste comprendre, regarder ce même corps qui peut être nu et horizontal, si peu de mailles et assis, on regarde les plis du coude, un eczéma naissant, les paupières, on s’attarde sur un lobe, était-il là, lui aussi, dans l’acte ? Était-il aussi vivant que cette cheville ou cette main, qui empoignait cette hanche ou cette nuque, comment vit-il sans contact ? On lui invente une vie, on refuse automatiquement le sucre dans le café, on est alerte, on se dit que là oui, là on pourrait, là on pourrait se coller à l’autre, respirer sa peau, compter ses poils, murmurer contre son nombril, s’endormir un peu sur son dos (en continuant d’être pris, de prendre, de s’y perdre, d’être tordu, dessous, griffé) on regarde sa montre, on ne lit pas l’heure, ça ne sert à rien, seule celle de l’intérieur sait, et au lever du soleil, dans le ciel rose, sexe étoilé, il est trop tôt. Vingt minutes après c’est déjà mieux. Trente minutes après, les deux yeux ouverts, c’est bien. Alors bon, de là à dire pas ça le matin, c’est exagéré. Puisque le matin, on l’invente.
Les grosses mailles, coulent dans les grosses mailles