manifesto

J’ai commencé à écrire pour m’occuper, car les livres se terminaient trop vite et les enfants étaient trop brusques.

J’ai toujours été plus parasol que jeux d’eau, devoirs de français qu’éducation physique. J’ai gardé ce mauvais pli : en vacances dans le sud de l’Italie, je confectionnais mes premiers magazines. Recettes actualité courrier de lecteur. J’étais tout ce monde à la fois, et il me suffisait bien.

Mon premier roman (assemblé par mes soins : papier recyclé et agrafes témoins) racontait l’histoire d’une amitié tragico-tendre entre un lapin enfermé dans un zoo (voyez-donc) et un petit garçon spectateur (roux dans mes souvenirs). Il tenait sur une vingtaine de pages, j’étais illustratrice aussi.

Mais que s’est-il passé ? Qui a volé mon imagination ? Est-ce qu’il en faut nécessairement, pour créer le mouvement ? On me reproche l’absence de trames. Ou p’têt bien que ça venait de moi, peu importe. Peu importe, le cauchemar est là.

J’ai continué d’écrire dans l’innocence, sans savoir que je laissais des traces dans mon histoire, sans savoir que j’étais réellement atteinte et qu’il me faudrait maintenant écrire jusqu’à la fin de mes jours. J’ai écrit pour des amoureux, pour qu’ils le deviennent. Je leur créais mes attentes, je les comblais avec des listes infinies d’adjectifs doucereux. Quand j’ai voulu crié au monde mes mots, et que je n’en étais plus capable car tout avait pris trop de place, tout était trop dangereux à présent, j’ai été confrontée aux Conditions. Des nombres des règles et des t r a m e s.

Il fallaitqu’il se passe quelque chose de rocambolesque, et moi d’habitude tellement dans la retenue, et moi au souci d’esthétique constant, il fallait que je me secoue pour simuler des remous.

Que je suscite encore plus– le sensualisme ne suffisant plus. Il fallait soap opérarisé mes textes. J’ai essayé, promis. J’ai peut-être perdu des amis. Les gens sérieux qui écrivaient vraiment ne croyaient plus en moi, je ne me pliais à rien. Je restais dans ma petite chambre à faire des exercices d’assouplissement devant le papier.

Une trame c’est un mégamonstre dans un jeu-vidéo, un niveau ultime avec des écoulements de lave, des roches tranchantes qui lardent le chemin paisible d’un aventurier rouquin, une trame c’est la violence conjugale, c’est quelque chose qui suce tes membres avant de les atrophier, c’est quelque chose qui existe dans l’esprit des gens malades de droiture et d’angoisses. C’est les gens qu’il faut rassurer à coup de petites proses chorales, c’est l’affaissement de terrain après une bonne récolte, c’est synonyme de diabolo-menthe mal dosé et d’une dent de sagesse infectée. Si le récit ne peut exister sans trame c’est qu’il n’avait pas lieu d’être dans le cœur pur des choristes cascadeurs.

 

Je serai capable d’écrire une centaine de pages sur les attributs physiques d’un joueur d’accordéon tchécoslovaque. Vous ne les liriez pas. Vous vous arrêteriez à la description des racines fécondes et pétillantes de ses cheveux coupés en brosse – il vous faudrait du dragon du sarcophage du drame portatif. Je vous donne un texte son suc ses couleurs et même le nuancier. J’apprends maintenant qu’il y a, en dessous encore de la substantifique moelle, un spectacle pyrotechnique.

Je tiens à m’excuser auprès de mes lecteurs, il n y aura jamais de trame.

Laisser un commentaire