Jolie, d’une fadeur vulgaire, elle s’amusait à emprunter des expressions faciales aux plus étrangers. Elle avait appris à se renfrogner, à plisser ses yeux déjà petits jusqu’à s’avaler les globes oculaires, pincer sa bouche juste avant de la saigner : elle voulait que les deux pôles de son visage se rattrapent, s’enfoncent au niveau de son nez, elle voulait disparaître.
Plutôt laide, au final. Des cheveux sans couleurs, jamais décoiffés mais pétaradants, bruyants de désordre. Elle articulait mal dans ses lenteurs, pensait qu’exagérer sa voix en quelques octaves pouvait la rendre mystérieuse. Par moment, étonnée ou rieuse, elle s’abandonnait à son réel ton ; et tout s’effondrait autour d’elle, on ne l’écoutait déjà plus.
On aurait pu l’écouter du début à la fin : elle parle fort pour défendre des causes nobles. On pourrait lui laisser les rennes de nos hésitations, la nommer maharadjah, maîtresse d’une tribu papoue, sage, truc avec un semblant d’autorité, chose qui hurle et fait s’agenouiller. Oui, on pourrait. Mais si on écoute vraiment, elle ne croit ni à sa couronne, ni à son trône. Et encore moins à ses ordres et pensées.
Elle peut représenter une ville sur le déclin, un pays baveux qui s’incline devant des publicités toutes jaunes, vantant aspirateurs et robots neufs, un écran-éponge qui diffuse des gens (comme elle), elle peut être à la fois l’épave et le contenant (ces nouvelles poubelles qui empêchent qu’on y jette de sacs trop gros – peut-être que vous n’avez pas ça chez vous). Quoi qu’il en soit, elle peut.
Elle pourrait si elle ne posait pas sa vie sur un chevalet pour remettre de l’après-shampoing sur ses non-cheveux. Elle pourrait si ses yeux étaient plus grands et ne bénéficiaient pas d’angles morts droit devant. Les deux mains dans les œillères et la tête dans la selle. J’aurais pu la trouver belle si elle débarbouillait un peu son gros visage de flaques et de fientes, de pétales et d’orge. Elle pouvait si elle ne cherchait pas à concentrer un marécage dans sa bouche. Je comprends la lenteur des phrases : les mots englués n’ont pas de caoutchouc autour des pieds. Elle a un filet, pour attraper des papillons (ou des carpes fluorescentes), elle attrape des vers luisants, dans la terre avec le bout de ses outils, gratte, s’emmêle les yeux dans les branches qui piquent, elle hurle avec sa vraie voix, simule la peur (de toute sa figure) parce qu’elle a déjà vu des gens avoir peur, dans la rue, dans les transports publics. Elle connaît le relâchement des lèvres, le nez plissé, les sourcils qui oscillent entre la ligne droite et la surprise arquée, le clignotement des yeux qu’elle voudrait énormes, pour observer sa disparition.